Lever 7h, petit déjeuner et départ en maxi bus vers le front de mer où nous allons embarquer à bord d’un ferry, traverser la baie d’Hiroshima pour atteindre l’île de Miyajima.
Le temps n’est pas de la partie mais il ne pleut pas. Sur le ferry, je reste à l’extérieur pour mieux voir. Il y a notamment des parcs à huitres, spécialité de la région. L’île est montagneuse et verdoyante.
Avant d’aborder, nous apercevons le fameux torii rouge, emblème de l’île. Malheureusement, des échafaudages le masquent en partie.
Je suis occupé à regarder de tous mes yeux la côté qui s’approche lorsque je me sens soudain bousculé dans le bas du dos. Je me retourne et j’aperçois un bonnet rouge à 1 mètre du sol. C’est cette petite fille qui est toute confuse d’être entrée en collision avec moi. Je prends une photo à la sauvette et lui montre le résultat, ce qui me donne l’occasion d’en prendre une deuxième.
Charmante, n’est-ce pas ?
Nous débarquons à 8h30. Ici, nous sommes dans un monde à part, peuplé de temples shintoïstes et bouddhistes, de chemins de randonnées partant à la découverte du patrimoine naturel de l’île et de biches (gourmandes) en liberté.
Les japonais étant pour la plupart des gens paisibles,
les animaux ne sont pas craintifs.
Nous suivons la promenade du front de mer et déjà nous pouvons voir une pagode dépassant le sommet des pins.
Voici le fameux torii, à marée basse.
Juste en face de celui-ci s’ouvre l’entrée du sanctuaire d’Itsukushima-jinja.
Une série de pontons permet de se rendre d’une partie à l’autre du complexe.
Ici, je découvre une autre forme de lanterne, tout aussi harmonieuse
que celles en pierre.
Nous avons la chance, au cœur des temples, d’être les témoins d’une cérémonie de mariage en rite shintoïste. La mariée est à droite avec sa famille tandis que son époux lui fait face.
Des animaux mythiques gardent les lieux.
A marée basse, la faune locale est apparente et je m’amuse à voir de petits poissons colorés ainsi que des tortues fouiller la vase à la recherche de leur petit déjeuner.
De l’autre côté, sur la terre ferme, s’élèvent quelques temple
dont un dédié à Jizo.
Nous montons parmi les arbres pour découvrir d’autres temples.
Une pagode à trois niveaux laisse admirer son architecture savante.
Sur le bord du chemin, nous croisons un serpent, en promenade lui aussi. L’île recèle une race de serpents albinos considérée comme sacrée. Celui-ci n’en fait assurément pas partie.
Après un moment d’observation réciproque, il préfère prendre congé, glissant le long d’un talus presque vertical.
Cachés dans la végétation, des temples bouddhistes sont accrochés
à flanc de collines.
La décoration y est plus recherchée. Le fronton des portes montrent
des dragons sculptés dans le bois
A l’intérieur des temples, l’aspect décoratif est tout aussi soigné
comme ce mandala, symbole du côté éphémère de la vie.
Le plafond est fleuri
L’autel est garni
Il y a même des réminiscences de l’Hindouisme
avec cet oiseau (Garuda ?) portant sa divinité.
Les autels acceptent aussi les conserves de fruits au sirop.
Il faut vivre avec son temps.
L’ensemble végétation-architecture procure un intense sentiment d’harmonie.
Dans un temple situé sur un promontoire, un prêtre est en train d’officier
sous les yeux des fidèles.
Plus loin encore s’ouvre une espèce de crypte
contenant des statues commémorant un défunt.
Placées les unes à côté des autres, elles portent toute
une série de renseignements concernant la personne disparue.
Les lanternes au plafond me fascinent.
A la sortie, Jizo nous attend, vêtu pour l’hiver.
Le long du parcours, je découvre des pots contenant fleurs
ou arbustes décorés par des Manéki néko
Pour finir, ce moine mendiant fait la quête.
Naïf et charmant à la fois.
La spécialité de l’île est l’huitre cuite au feu de bois.
Je m’abstiens d’y gouter préférant les gâteaux fourrés à la pâte d’haricot rouge que vend cette demoiselle. Très bon !
Nous reprenons le ferry pour regagner le « continent » où nous attend le repas de midi pris dans un grand hôtel.
Le serveur est turc !
Nous regagnons ensuite le centre de la ville d’Hiroshima pour une visite qui, pour moi, sera la plus émouvante du voyage.
Sur le trajet en mini bus, je remarque que les pompes à essence au Japon diffèrent d’ailleurs : les pistolets de distribution pendent du plafond.
Nous longeons les berges de la rivière Motoyasu gawa en direction de l’épicentre de l’explosion du 6 août 1945 à 8h15 qui est situé à quelques rues du cours d’eau.
Une plaque commémorative est fixée sur la paroi d’un bâtiment moderne.
Un peu plus loin, nous passons près d’un cimetière qui existait déjà à cette époque. Il est tout à fait inclus dans le tissu urbain.
En me retournant, je découvre le célèbre bâtiment du Développement industriel conçu en 1915 et dont le dôme est dans toutes les mémoires.
Entre ce bâtiment et le lieu de l’épicentre, il n’y a pas cent mètres de distance. La coupole en métal a fondu sous l’effet de la chaleur tandis que les murs cuisaient. Je reste là devant comme pétrifié.
Jizo est à nouveau présent.
Nous traversons la chaussée pour nous rapprocher des ruines.
Le travail de mémoire est mené de manière admirable par les habitants d’Hiroshima. Trois personnes par mois meurent encore actuellement des suites de la bombe à l’uranium.
Nous nous engageons sur le pont Aidi Bashi qui a servi de point de repère aux aviateurs de l’Enola Gay pour le largage de la bombe.
Au milieu de pont, une ramification permet de rejoindre la langue de terre située entre les deux bras de la rivière.
Autrefois, c’était un quartier d’artisans et d’acteurs de théâtre.
Les maisons à un étage étaient pour la plupart en bois.
Maintenant, c’est devenu le Parc de la Paix.
Avec sa cloche, comme dans les temples shintoïstes.
Il y aussi un monument des enfants dont l’histoire vaut la peine d’être racontée. Quelques mois après l’explosion, une petite fille de 7 ans commença à souffrir de leucémie. La légende veut que si vous réalisez 700 grues en papier plié (origami) vous guérissez de n’importe quelle maladie. C’est donc ce qui fit la petite fille.
Ses copains de classe en plièrent eux aussi une grande quantité.
Le nombre fut atteint mais la maladie s’aggravait.
Deux ans plus tard, la fillette mourrait, laissant derrière elle beaucoup de chagrin et des milliers de grues en papier. Ce sont celles-ci qui sont exposées dans ce monument.
Plus loin dans le parc, se trouve un mémorial contenant
le nom de toutes les victimes de la bombe.
Une flamme brûle en son centre et ne sera éteinte que lorsque la dernière arme atomique sera détruite.
Dans l’axe de ce mémorial, on aperçoit le dôme.
La nature aussi a payé son tribu : ces arbres brûlés témoignent des souffrances subies par les humains comme par la flore et la faune de cette région.
Après la traversée du parc, nous visitons le musée pour la paix. Là, le groupe se disperse et je peux visiter à mon rythme cet intéressant lieu de mémoire. La présentation est à la fois très précise et sensationnaliste. On cherche à renseigner mais aussi à émouvoir ce qui est assez dans le ton de ce que j’ai perçu de la sensibilité japonaise.
L’histoire commence au début du 20ème siècle et présente Hiroshima comme une ville de garnison. Dès les années 1930, le pouvoir en place demande à la population de réaliser un effort de guerre. C’est le début de la sous-alimentation pour le peuple japonais mais aussi d’un travail volontaire acharné de tous pour satisfaire les rêves de conquêtes du gouvernement militariste. Dès 1942, les Etats Unis ripostent et bombardent les villes de l’archipel. La population civile trinque, en silence.
Enfin, en 1945, voyant de la Russie communiste s’apprêtait à envahir le Japon par le nord, le gouvernement américain décide de larguer une bombe atomique sur une grande ville du Japon. Le 6 aout 1945, la météo est favorable à Hiroshima, ce sera donc la cible choisie. Les gens sont dans la rue, ils vaquent à leurs occupations lorsqu’ils sont aveuglés par une lumière blanche, renversés par un vent extrêmement violent ou brûlés. Le cataclysme se produit en quelques minutes générant de gigantesques incendies suivis d’une pluie noire (à lire : « Pluie noire » de Masuja Ibuse)
Tout de suite, les secours s’organisent, venant de la périphérie de la ville et des localités environnantes mais il y a tant de victimes. A l’hôpital de la Croix Rouge, on manque vite de médicaments ; les médecins se demandent à quoi ils ont affaire. Les brûlures sont profondes, des gens meurent d’hémorragies spontanées ou d’épuisement complet. Enfin, un des médecins comprend en voyant l’image d’une feuille d’arbre imprimée sur une surface de béton : une radiographie. Il s’agit d’une bombe à radiations.
Pendant les mois, les années qui vont suivre les décès continueront à survenir et cela, jusqu’à aujourd’hui. A-t-on vraiment fait l’inventaire des conséquences d’Hiroshima ? Non, pas encore. Malgré les nombreuses études menées par les américains et gardées secrètes, on découvre encore de nouvelles pathologies liées à l’uranium et transmises à leurs descendants par les victimes irradiées.
Tout cette horreur, la scénographie du musée nous la fait percevoir très nettement au travers d’objets retrouvés après l’explosion comme des sacs d’écoliers qui seuls ont survécus. Il y a aussi une infinité de photos de blessés, de biographies de victimes qui revêtent un aspect particulier : elles sont nominatives. Nous savons qui nous regardons, de qui nous lisons le destin. Ceci s’inscrit bien sûr dans la logique du culte des ancêtres où il est exclu d’oublier qui nous a précédés.
Mais pour nous occidentaux, cela surprend de se sentir parti prenant dans ce qui est arrivé à madame Yuki Okira ou à monsieur Sujito Tanaka. Est-ce la raison pour laquelle cette visite m’a tant touché ? Peut être, j’ai compris intimement ce qu’ont vécu les habitants d’Hiroshima.
Une partie de l’exposition est consacrée à la paix et au désarmement. J’ai trouvé le discours particulièrement naïf parce qu’il élude les questions fondamentales d’intérêts économiques qui sous-tendent les conflits armés. Supprimer l’arme nucléaire ne garantit nullement la paix lorsque l’on sait qu’il existe des armes bactériologiques tout aussi destructrices.
Je quitte le musée vers 18h et je rentre à l’hôtel à pieds sous la pluie. J’ai le temps de m’offrir un moment de repos, joie.
Nous avons rendez-vous dans le hall de l’hôtel à 19h30 pour aller découvrir une spécialité gastronomique : l’ okonomiyaki.
Dans l’ascenseur, je croise trois dames en kimono. Je les salue en m’inclinant « konbanwa ». Elles sourient et me répondent. J’ose un « kawaï », cela les fait rire et me remercier « aligato gosaïmass »
Dans le hall, les kimonos se multiplient dans des tissus soyeux de toute beauté. L’obi en soie avec son cordon et le nœud dans le dos complète l’ensemble tandis qu’aux pieds, ces dames portent des tabis (chaussettes avec le gros orteil séparé) et des socques en bois. Elégant.
J’apprends qu’il y a une réunion de spécialistes du thé à l’hôtel et que les dames sont conviées à sortie entre elles.
Nous allons à pieds jusqu’au restaurant qui se situe au premier étage d’un immeuble. Plutôt qu’un restaurant, je devrais parler d’un snack d’allure populaire. Nous nous asseyons devant une plaque chauffante, les uns à côté des autres. Je commande une bière en attendant que notre repas soit prêt. C’est la grand-mère (85 ans) qui est aux fourneaux et elle a du bagou. Il n’y a que la guide japonaise qui comprend et je crois que c’est mieux ainsi.
La recette de l’okonomiyaki ? A défaut de plaque chauffante, vous pouvez utiliser une poêle. Nous voyons atterrir sur la plaque chauffante du chou blanc coupé en lamelle, des oignons, du porc haché. Tout cela grésille, rissole, cuit, agité de temps à autre par une spatule tenue dans une main vigoureuse. De la pâte coule sur la plaque pour former une crêpe sur laquelle viennent s’empiler chou, oignons, viandes, germes de soja, nouilles précuites, œuf battu. On tasse le tout et on retourne ce qui ressemble maintenant à une pile de crêpes. La mamy arrose chaque pile avec une sauce brune et retourne la chose qui se met à fumer, à cracher de la vapeur et à grésiller de plus belle. Maintenant, deux assistants œuvrent à ses côtés pour faciliter la manœuvre : il ne faut pas que cela brûle.
Voilà, une fois caramélisés, les machins se posent sur le plateau devant nous et nous sommes invités à manger, avec des baguettes. Je regarde la soucoupe volante posée devant moi, c’est énorme mais cela sent bon. J’attaque la première couche mais tout à été bien mélangé, c’est bon, sans saveur distincte.
Tout le monde a fini de manger que je suis encore occupé. Vais-je arriver au bout de cet « étouffe chrétien » ? La mamy a fait des remarques à ceux qui n’ont pas fini leur assiette. Grâce à la bière, je fais passer la dernière bouchée. A côté de cela, le spaghetti bolognaise à la belge est un en-cas. Grand-mère me fait grâce du dessert. Je reconnais qu’à défaut de finesse gastronomique, ce repas nous a fait beaucoup rire. Nous quittons notre hôtesse et retournons à pieds à l’hôtel. Cette balade me fait le plus grand bien.
De retour dans la chambre, je me mets en quête d’une prise de courant. Je n’ai pas d’adaptateur international et je dois absolument recharger mon appareil photo. J’avise un fil électrique muni d’une prise à laquelle j’arrive à brancher le chargeur de l’appareil. Le témoin rouge s’allume : cela fonctionne.
Là-dessus, je vais me coucher.
A suivre